Hiérarchie des normes : accord collectif/contrat de travail : lequel prime ?...

Publié le par militants-cgtnord

Hiérarchie des normes : accord collectif/contrat de travail : lequel prime ?


Ecrit par : Par Mélanie Carles (publié le 15-6-2012)
Publié le 15 juin 2012

 

En cas de conflit
de normes,
c’est la clause
la plus favorable au salarié
qui s’applique ...

  

L’entrée en vigueur d’un nouvel accord collectif ne peut, en principe, modifier les contrats de travail des salariés sans leur consentement. 
Un verrou protecteur toutefois partiellement remis en cause par la loi « Warsmann ».

 

Le débat actuel sur l’autonomie de la négociation collective (voir notre encadré) a relancé la question : quelle est la force obligatoire du contrat de travail face à une convention collective ou un accord d’entreprise ? Comment établir une hiérarchie ?

Tout est affaire de contenu. Si les dispositions de l’accord sont favorables au salarié, apportent un plus par rapport à son contrat de travail, alors le salarié peut s’en prévaloir en application du principe de faveur (Principe également dénommé « ordre public social »). Mais si l’accord est moins favorable, alors le contrat de travail peut faire office de socle protecteur. La loi Warsmann du 2 février dernier remet toutefois en cause ce principe lorsque l’accord porte sur la modulation du temps de travail.

 

Le principe de faveur

  

Application des clauses 
les plus favorables

Lorsque les dispositions d’une convention ou d’un accord collectif sont en concurrence avec celles d’un contrat de travail sur un point précis (par exemple le mode de calcul de la prime d’ancienneté), on dit qu’il y a conflit de normes. Dans ce cas, c’est la clause la plus favorable au salarié qui s’applique.
Par exemple, une convention collective déjà en vigueur au moment de la signature d’un contrat de travail joue un rôle de « droit plancher ». Le contrat de travail ne peut pas être moins favorable et prévoir, par exemple, une période d’essai plus longue, une durée de préavis plus courte en cas de licenciement, un salaire inférieur aux minima conventionnels, etc.
À l’inverse, un accord collectif ne peut modifier les contrats de travail existants. Si les dispositions de l’accord sont défavorables au salarié, celui-ci peut donc faire valoir son contrat pour y échapper. Autre cas de figure, le nouvel accord contient des clauses plus favorables que le contrat de travail : elles s’y substituent alors automatiquement et s’appliquent immédiatement.

 

Obligations conventionnelles 
en l’absence de clause contractuelle

Une convention collective comportant des obligations à la charge des salariés peut s’imposer, à certaines conditions, lorsque le contrat de travail ne contient pas de clause portant sur le même objet.


Exemple : même en l’absence de clause de mobilité géographique insérée au contrat de travail du salarié, l’employeur peut se prévaloir d’une telle mobilité instituée de façon obligatoire par la convention collective. Mais à deux conditions :

=>  la convention collective est suffisamment claire et précise ;

=>  le salarié a été informé de son existence au moment de son embauche et mis en mesure d’en prendre connaissance (ce qui implique que la convention est antérieure).

 

Accords de modulation du temps de travail : un passage en force

La mise en cause du rôle protecteur du contrat de travail n’est pas une première. On se souvient d’une première intervention du législateur lors du passage aux 35 heures avec la loi du 19 janvier 2000. Pour contrer la jurisprudence selon laquelle la durée du travail constitue un élément du contrat de travail (qui ne peut donc être modifiée sans l’accord du salarié), l’article L. 1222-7 du code du travail issu de cette loi donne la primauté aux accords RTT : « la seule diminution du nombre d’heures stipulé au contrat de travail, en application d’un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat » (Mais si la réduction du temps de travail se double d’une baisse de la rémunération, alors il y a modification du contrat de travail devant faire l’objet, de la part du salarié, d’une acceptation claire et non équivoque - Cass. soc. 27 mars 2001, n° 99-40068, Sté Aciéries et Laminoirs de Rives). La loi « Warsmann » du 29 février dernier transpose cette règle aux accords de modulation du temps de travail. Avec toutefois des conséquences bien plus graves pour les salariés.

 

La modulation du temps de travail s’impose au salarié)

La modulation du temps de travail consiste à organiser le travail dans l’entreprise selon des cycles de travail d’une durée différente, sur tout ou partie de l’année. Les salariés sont alors assujettis à une alternance de périodes dites « hautes » de travail, excédant 35 heures hebdomadaires, et de périodes dites « basses », les unes compensant les autres. Par exemple, les salariés peuvent travailler jusqu’à 40 heures hebdomadaires sur certaines périodes et 30 heures sur d’autres, le tout correspondant à une moyenne de 35 heures par semaine sur l’année. Cette dérégulation du temps de travail, outre les problèmes qu’elle pose aux salariés dans leur vie personnelle, est particulièrement nocive pour leur santé (modification récurrente des rythmes biologiques).
Dans un arrêt du 28 novembre 2010, la Cour de cassation avait posé pour principe que « l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié » (Cass. soc. 28 sept. 2010, n° 08-43161, Sté Philippe et Vincent Jaboulet ; voir la chronique juridique de la NVO du 17 décembre 2010, p. 40-41). L’employeur ne pouvait donc l’imposer.
La loi de « simplification du droit » du 29 février 2012, dite loi Warsmann, a fait sauter cette protection en créant un nouvel article L. 3122-6 dans le code du travail : « La mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail » (À noter toutefois que les travailleurs à temps partiel conservent leur droit au refus - alinéa 2 du même article).

 

Conséquences d’un refus : un licenciement difficilement contestable

En principe, le refus d’une modification de son contrat par le salarié ne constitue pas un motif de licenciement. Deux alternatives s’offrent à l’employeur : soit il renonce à modifier le contrat et laisse les choses en l’état, soit il prend l’initiative d’un licenciement qu’il doit motiver par une cause réelle et sérieuse. Avant la loi Warsmann, le licenciement des salariés ayant refusé la modulation du temps de travail avait une cause économique et les salariés « bénéficiaient » des garanties attachées à ce type de rupture (plan de sauvegarde de l’emploi, congé de reclassement, etc.). Désormais, les salariés qui refusent les changements induits par un accord de modulation peuvent être licenciés au seul motif de ce refus.
La loi ne le précise pas, mais nul doute qu’il s’agit d’un licenciement pour motif personnel « sui generis », qui signifie « propre à la situation » (comme c’est le cas lorsqu’un salarié refuse un accord RTT).

 

Comment résister ?

 

Vérifier la conformité de l’accord 
à la loi

C’est le premier réflexe à avoir en présence d’un accord de modulation. Il faut tout d’abord vérifier la qualité des signataires, puis s’assurer que l’accord (d’entreprise, d’établissement, ou de branche) comporte, au minimum, les clauses prévues par la loi (Art. L. 3122-2 du code du travail) :

=>  l’organisation de la répartition de la durée du travail (sur une période au plus égale à l’année) ;

=>  les conditions et délais de prévenance des salariés des changements de durée ou d’horaire de travail ;

=>  les limites pour le décompte des heures supplémentaires ;

=>  les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période. Un accord illégal est inopposable aux salariés. Ils peuvent donc refuser son application.

 

Si la rémunération contractuelle 
des salariés est impactée par la mise en place de la modulation

Il y a dans ce cas modification des contrats de travail, que les salariés peuvent refuser sans que leur refus puisse justifier en tant que tel un licenciement. L’employeur pourra malgré tout, en cas de menace sur la compétitivité de l’entreprise, décider des licenciements économiques (à condition de les justifier).

 

Invoquer des obligations familiales impérieuses

C’est un principe assez récent posé par la Cour de cassation : le salarié peut refuser l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée lorsque ce changement porte une atteinte excessive au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos (Cass. soc. 3 novembre 2011, n° 10-14702, Sté GSF Orion). En cas de conflit modulation du temps de travail/vie familiale, le salarié peut selon nous invoquer cette jurisprudence. Il appartiendra ensuite aux juges de rechercher si les nouveaux rythmes de travail portent une atteinte excessive à la vie personnelle et familiale du salarié. Dans l’affirmative, son licenciement devrait être reconnu comme dépourvu de cause réelle et sérieuse (Voir le raisonnement – identique – adopté par le Conseil d’État dans un arrêt du 2 avril dernier - n° 344059, Sté Autogrill Coté France - au sujet d’une représentante du personnel licenciée pour avoir refusé la mise en place d’une modulation de son temps de travail dans le cadre d’un accord RTT).

 

Contractualiser les horaires 
de travail

Nous sommes ici dans l’hypothèse où le contrat de travail prévoit expressément que les horaires constituent un élément essentiel de ce dernier. Cela signifie que l’employeur et le salarié ont convenu de les contractualiser pour leur donner force obligatoire. Dans ce cas, le nouvel article L. 3122-6 du code du travail est selon nous dépourvu d’effet. Le contrat de travail s’applique, sans que l’employeur puisse imposer les dispositions de l’accord de modulation.

 

Si l’employeur a mis en place la modulation du temps de travail sans le consentement exprès des salariés avant l’entrée en vigueur de la loi

Les salariés restent fondés à demander des rappels de salaires pour heures supplémentaires pour la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi. 

 

En débat

Faire de la négociation collective 
un outil de flexibilité ?
Le Medef et certains syndicats (UNSA, CFDT) demandent une réforme de la Constitution pour voir reconnaître « l’autonomie des partenaires sociaux et de la négociation collective » (Voir, à ce sujet, la NVO n° 3467 et l’interview de Maryse Dumas dans l’Humanité 
du 29 mai 2012). Ce qui, en d’autres termes, reviendrait à déléguer aux employeurs et aux organisations syndicales le rôle de législateur. Compte tenu de la propension de certains syndicats à approuver les reculs sociaux, le risque est gros pour les salariés.
Les entreprises pourraient ainsi adopter leurs propres normes pour s’affranchir de la loi et des contrats de travail des salariés qui ne joueraient plus leur rôle de « droit plancher ».
Les récentes négociations compétitivité-emploi, suspendues pour cause d’alternance politique, allaient dans ce sens. Usant du contexte de crise, le projet d’accord visait à moduler le temps de travail et/ou les salaires, au niveau de l’entreprise, via la signature d’un accord avec les syndicats, sans que les salariés puissent s’y opposer.
Refuser ce jeu de dupes, abroger la loi Warsmann (Une proposition de loi déposée le 21 mai dernier par la sénatrice Annie David -CRC- va dans ce sens), ainsi que toutes celles qui déconstruisent le droit du travail depuis plus de dix ans (Voir le dossier « Dix années de déconstruction de droit du travail », par Anne Braun, 
Le Droit en liberté - bulletin édité par le collectif confédéral DLAJ - n° 56, de mars 2012) : telles sont les attentes de la CGT à l’égard du nouveau gouvernement.

Publié dans Juridique

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